Marguerite

Nuit improbable. Alors que je lutte sous les draps, je repense à Jade, Jade petit bébé trébuchant, Jade perdue au monde, Jade petites lunettes, Jade et ma sœur, sourire malicieux. Jade, un couteau sous la gorge, et ce que mes parents n’expriment que par des phrases pudiques. Jade, petit bébé. Adieu enfance, adieu jolis volutes de fumée, vie parisienne dissolue, adieu rébellion, bonjour viol. Je repense à Jade, il me sert très fort dans ses bras et j’ai envie de pleurer. Petite Jade, à cause ou grâce à toi, je ne peux plus. Je ne peux plus jouer à la gentille vie dépravée, je ne peux plus rire des lendemains détruits, je ne peux plus me déshabiller sans frissonner. Jade, seize ans, m’a donné une hideuse leçon de vie. Je me rappelle de l’orée des Ternes, ma mère hurlante, nuit à pleurer. J’aimerais en parler à quelqu’un. Avoir un garçon à serrer dans mes bras pour de vrai, qui écoute des bouts de paroles, et me dise que le monde n’est pas si laid. Qu’on peut continuer à vivre, à espérer. Mais il n’y a que des vagues étreintes, du cinéma, de la dentelle, et mes larmes qui se mélangent au produit pour lentilles. Il n’y a qu’Edouard qui m’appelle avec son amour d’enfant. Je voudrais un homme, quelque chose de stable quand la petite Jade frappe à ma porte. J’ai arrêté de dormir avec ma peluche, j’ai appris à grandir toute seule. Mais je ne pourrai pas aimer seule. Jade.